Monday, 26 August 2024

Marie-Soleil Labelle – Pilote jusque dans les tripes

Du haut de ses 20  ans, Marie-Soleil Labelle, Sunny de son surnom, n’a qu’une chose en tête : la course automobile. L’hiver, elle cherche des partenaires. L’été, elle participe à des courses. C’est le même manège depuis ses 15 ans, année où elle a fait le saut des karts aux voitures sur les conseils d’un certain Raymond Tagliani…

On rejoint Marie-Soleil et son père, Maxime, dans le stationnement d’ICAR, à Mirabel. Le tandem a fait la route de Gatineau avec son imposante remorque noire, dans laquelle se cachait la voiture de Marie-Soleil. À notre arrivée, la pilote et son père nous attendent patiemment devant la Nissan Sentra bien fournie en autocollants de partenaires. Un de ces partenaires, Evirum, nous retrouve d’ailleurs sur place.

Marie-Soleil amorce sa troisième saison au sein de la Coupe Nissan Sentra. Elle représente l’équipe du musée Gilles-Villeneuve ; c’est d’ailleurs en l’honneur du légendaire et regretté pilote qu’elle affiche fièrement le numéro 27 sur sa voiture. « Il n’abandonnait jamais une course, même si ça allait mal, nous dira-t-elle à son sujet. Il faisait tout pour la terminer. Ça, c’est une attitude que j’ai et que j’aimerais continuer à avoir. »

Marie-Soleil veut, le plus tôt possible, participer aux courses de NASCAR. Rien de moins.

C’est l’histoire d’une jeune femme qui, grâce au sport automobile, a trouvé une passion et a su vaincre sa gêne…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSEMarie-Soleil Labelle

Quand le passe-temps devient passion

Marie-Soleil Labelle ne vient pas d’une famille amatrice de sport automobile. L’histoire d’amour de la jeune femme avec le sport commence par pur hasard l’année de ses 12 ans, après une séance de karting avec son père.

« Papa, est-ce qu’on pourrait retourner faire du kart ? », demande-t-elle, encore et encore, dans les jours qui suivent.

« La vitesse, je trouvais ça le fun. Les tournants, le bruit, le gaz, les odeurs… », se souvient-elle.

Le père et sa fille concluent donc une entente verbale : si elle réussit bien à l’école, elle aura comme récompense des soirées au karting.

« Je voyais ça vraiment comme un passe-temps, nous explique le paternel. […]. Mais elle est tombée en amour avec son passe-temps, qui est devenu une passion. Sa passion faisait en sorte que ça allait bien à l’école. »

Voyant que Marie-Soleil était là jour après jour, les employés de Top Karting, à Gatineau, lui ont proposé de s’inscrire dans une ligue pour le plaisir. L’été suivant, elle commençait à faire du kart de compétition.

Après deux saisons, Marie-Soleil a changé d’équipe afin de se joindre à la Ben Cooper Racing Team, en Rotax junior, avant de faire le saut en Shifter à la fin de 2019. Cette année-là, Raymond Tagliani, le père d’Alex, était son mécano. C’est lui qui lui a conseillé de quitter le karting pour passer au circuit routier.

« Il m’a dit : va-t’en du kart parce que sinon, tu vas être là toute ta vie. J’ai l’impression que tu veux performer et grandir dans le sport automobile. »

Quand ça vient d’un Tagliani…

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSEMarie-Soleil Labelle

Vaincre le TDL

De fil en aiguille, Marie-Soleil, 15 ans, est devenue la plus jeune pilote féminine de la série canadienne Nissan Sentra, en classe Micra. Son père se souvient nettement des premières courses de sa fille, à Mont-Tremblant.

« Elle venait d’avoir 16 ans. Il y avait des Lamborghini, des Porsche qui la dépassaient. Là je me disais : éventuellement, elle va me dire qu’elle en a assez. Moi, j’étais sur le côté et je me disais : oh my god, c’est gros. »

« Elle sortait de piste, et elle disait : c’est à quelle heure qu’on retourne en piste ? Je me suis dit : ayoye, ça ne va pas arrêter aujourd’hui. »

Ce qu’on ne vous a pas encore dit, c’est que la jeune Gatinoise souffre d’un trouble développemental du langage (TDL). « C’est neurologique, nous explique-t-elle. Il n’y a pas de petite pilule qui te guérit. C’est vraiment côté lecture, écriture et compréhension. Parfois, mes amis à l’université font une joke. Moi, je ne comprends pas la joke au deuxième degré. […] En lecture, je peux interpréter quelque chose différemment. À l’oral, parfois, les mots qui sont dans ma tête ne sont pas nécessairement ceux qui vont sortir. »

Trouver des partenaires, une nécessité dans le monde dispendieux du sport automobile, s’avérait donc un défi colossal pour la jeune femme. Pour son père toutefois, c’était l’occasion parfaite de la « désensibiliser ».

« Au début, j’étais très gênée, raconte Marie-Soleil. Avec mon trouble, j’avais l’impression que j’avais de la misère à m’exprimer. À 15 ans, aller cogner aux portes pour dire : votre entreprise m’intéresse, nous avons les mêmes valeurs… »

« Mon père m’a beaucoup aidée. Il m’a montré comment parler aux gens. […] La course, c’est plus adulte. Je ne pouvais pas avoir l’air d’un petit bébé. »

Même chose pour les entrevues, fréquentes dans ce milieu.

« Au début, je me cachais dans mon trailer, je ne voulais pas parler, lâche-t-elle. Maintenant, je suis presque en train de demander quand ce sera mon tour, si je peux parler bientôt ! »

Un virage à 180 degrés, carrément. Aujourd’hui, Marie-Soleil est porte-parole du Regroupement TDL Québec et du comité international Raising Awareness of Developmental Language Disorder afin de montrer aux jeunes que « ce n’est pas parce que tu as une petite différence que tu ne peux pas réussir dans la vie ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSEMarie-Soleil Labelle

Du rêve à la réalité

En quelques années à peine, Marie-Soleil Labelle a fait un grand pas vers l’avant dans le monde du circuit routier. Après une première année d’apprentissage en classe Micra bouleversée par la pandémie de COVID-19, puis une deuxième année plus fructueuse, Labelle a conclu en 2022 sa troisième saison au 2rang du championnat en classe Micra.

C’est aussi cette année-là qu’elle a concouru lors du Grand Prix du Canada. Valérie Limoges et elle ont écrit l’histoire en devenant les deux premières femmes dans une même série durant le Grand Prix. Marie-Soleil, qui sourit à pleines dents à ce souvenir, est même montée sur le podium en vertu d’une troisième place.

En 2018, j’étais dans les gradins en train de regarder les sous-séries courser au Grand Prix de F1. J’étais avec mon père et je me disais : je ne veux pas juste être dans les gradins, je veux soit travailler sur la voiture, soit la conduire.

 Marie-Soleil Labelle

« En 2022, je suis sur le podium. Ce n’est plus moi dans les gradins ; c’est moi qui fais le show. »

La saison dernière, en 2023, Marie-Soleil a fait le saut en classe Sentra. Elle est allée à l’école de course Skip Barber Racing School, aux États-Unis, où elle a pris de l’expérience en Mustang GT. Elle a aussi commencé la course sur terre battue. Cette année, en plus de la Coupe Nissan Sentra, elle participera à la NASCAR Weekly Series.

Autrement dit, ça n’arrête plus de bien aller.

« Mon but, évidemment, c’est de tenir le volant le plus longtemps possible. Je vise la NASCAR », affirme celle qui suit en ce moment un double baccalauréat en génie mécanique et en technologie de l’information à l’Université d’Ottawa.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSEMarie-Soleil Labelle

« Le char ne le sait pas »

Ce n’est un secret pour personne : le sport automobile est encore dominé par les hommes, même si les mentalités évoluent. Au fil des années, Marie-Soleil a fait face à beaucoup d’adversité. Elle se souvient de ses années de karting, alors que « les petits gars n’aimaient pas se faire dépasser par une petite fille ». « Ça jouait beaucoup du coude. »

« Quand j’ai fait le saut [en circuit routier], j’étais très jeune. Ce sont des hommes. J’étais quasiment une enfant, une petite fille qui allait jouer dans la cour des grands. Au début, je voyais leurs regards, je savais que je n’avais pas ma place. »

« Que tu sois un gars ou une fille, il faut que tu fasses ta place sur la piste et que tu te fasses respecter. »

C’est ce qu’elle a fait. Avec brio.

Et puis, au bout du compte, comme le dit bien son père Maxime, « le char ne le sait pas, lui, si tu es une femme ou un homme ».